Cas de jurisprudence

Sortie temporaire d'un élève
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Dossier réalisé par Frédérique Thomas-Bion, professeur agrégée, docteur en STAPS, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.

L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en janvier 2002 est de nature à rassurer les enseignants, dans le même sens par ailleurs que l'affaire traitée dans la précédente fiche.
L'affaire évoquée ici, à l'époque largement médiatisée, insiste sur le caractère non fautif de l'enseignante. C'est encore une fois à souligner : un accident n'est pas synonyme de culpabilité. L'affaire est d'autant plus intéressante que le jugement de première instance est intervenu avant le vote de la loi Fauchon sur les délits non intentionnels, alors que l'arrêt d'appel a été prononcé après cette même loi.

Les faits

Le 19 novembre 1995, un enfant a été découvert inanimé dans les toilettes de l'école. Le rapport du directeur de l'école indique que l'enfant s'est rendu à cet endroit situé en face de sa classe vers 16 h 20, et que vers 16 h 25 les enfants qui se préparaient pour la sortie dans le couloir sont allés aux toilettes et ont découvert leur camarade inanimé. Ils ont averti leur enseignante, qui s'est rendue sur place a essayé d'aider l'enfant. N'y parvenant pas elle a appelé une autre institutrice, puis un autre enseignant pour dégager l'enfant de la serviette murale où il s'était enroulé la tête.

Première étape : Tribunal de grande instance de Bobigny, jugement pénal, 14 juin 2000

Sur la responsabilité du professeur des écoles : celle-ci a indiqué que l'enfant bénéficiait d'une permission de principe pour sortir de la classe sans autorisation préalable compte tenu de ses ennuis médicaux.

En ce qui concerne l'heure à laquelle le jeune garçon est sorti de la classe, l'institutrice a indiqué qu'elle se souvenait que c'était vers 16 h 20. Les enfants indiquent eux, que l'enfant est sorti "peu de temps avant le signal de la sortie générale". Une des élèves affirme quant à elle, que l'élève est sorti plutôt vers 16 h 10. Il a été précisé par une de ses camarades que ce jeune garçon avait déjà fait le geste de s'enrouler la serviette autour du cou et de faire semblant de s'étrangler quand quelqu'un arrivait.

Paradoxalement aucun autre élément en ce sens n'a été recueilli, il semble que si l'élève était turbulent dans la cour de récréation il était sage en classe et plutôt bon élève  : il n'avait par ailleurs jamais abusé du droit de sortir avec une autorisation tacite.

Compte tenu des éléments dont le tribunal dispose sur le temps écoulé entre le moment où il est sorti de la classe et celui où il a été retrouvé, de la configuration des lieux ainsi que des conclusions des experts il n'est pas possible d'affirmer que le professeur des écoles a commis une faute de surveillance.

Le professeur des écoles est relaxé des faits pour lesquels il était poursuivi : homicide involontaire.

Deuxième étape : l'arrêt d'appel, (chambre des appels correctionnels), Cour d'appel de Paris, 24 janvier 2002

L'appel a été interjeté par le ministère public et les parties civiles.

Sur la responsabilité du professeur des écoles : les parents de la victime demandent à la cour de déclarer l'institutrice coupable du délit d'homicide involontaire.

Ils fondent leurs prétentions sur l'article 121-3 alinéa 4 du Code pénal pour violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
À l'appui de ceci ils citent :

  • La loi du 5 avril 1937 article 2 qui stipule que les fautes pouvant être reprochées aux instituteurs sont celles d'imprudence ou de négligence :
  • La circulaire du 27 octobre 1996 qui dispose que l'obligation de surveillance doit être assurée pendant la totalité du temps scolaire c'est-à-dire pendant toute la durée au cours de laquelle l'élève est confié à l'établissement scolaire :
  • La circulaire du 18 septembre 1997 qui rappelle que toute surveillance doit être exercée de manière effective et vigilante pendant la totalité du temps scolaire et qui précise que celle-ci doit être continue quels que soient l'activité effectuée et le lieu où elle s'exerce c'est-à-dire partout où les élèves ont accès :
  • Le règlement intérieur de l'établissement qui précise que la surveillance des élèves ne s'exerce que pendant les heures réglementaires, à l'intérieur de l'école.

Ils déduisent de ces textes que la prévenue a dès lors violé délibérément une obligation de surveillance constante.


La cour considère que la loi nouvelle (la loi Fauchon, 10 juillet 2000) a profondément modifié le contenu de la faute pénale d'imprudence ou de négligence. Le caractère indirect du lien entre la faute et le dommage n'est ici pas discuté. Or la faute qualifiée de l'article 121-3 du Code pénal est susceptible de revêtir deux formes de gravité inégale :

  • soit une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement et ceci implique que soient remplies trois conditions :  
    • l'existence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité, prévue par la loi ou le règlement,
    • la connaissance de cette obligation légale ou réglementaire par la personne poursuivie du fait de ses fonctions ou de ses responsabilités personnelles,
    • son choix délibéré de ne pas la respecter.

À défaut de ne pas démontrer ces trois éléments, la faute ne saurait être caractérisée.Il est à noter que si la substitution de la responsabilité de l'État est possible, au niveau civil, pour les personnels de l'enseignement public, elle ne soustrait pas ceux-ci à l'exécution de sanctions pénales prononcées contre eux.

En effet devant les tribunaux répressifs, en cas d'infraction pénale, l'enseignant répond personnellement de ses fautes, l'État ne fait pas écran, ne se substitue pas à lui.

Enfin, la responsabilité de l'État peut être atténuée en cas de torts partagés :​

  • avec la collectivité territoriale (si le dommage est en partie dû à un ouvrage ou travail publics),
  • avec la victime elle-même : exemple d'une élève qui avait été blessée par le club de golf d'une camarade dont elle s'était rapprochée, malgré les recommandations de son professeur(1).
     
  • soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer :
     

Dès lors il faut démontrer l'existence d'un comportement fautif caractérisé : un manquement une accumulation d'imprudences ou de négligences successives.

En outre la faute s'apprécie in concreto, c'est-à-dire que l'institutrice n'aurait pas accompli les diligences normales en fonction du contexte, enfin l'auteur de la faute doit avoir connaissance du risque ou tout du moins se trouver dans l'impossibilité de l'ignorer au vu des informations dont il dispose. En définitive, le professeur des écoles n'a pas commis de faute caractérisée, elle n'a pas davantage violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

En effet les textes cités ne contiennent aucune obligation particulière de prudence et de sécurité pénalement sanctionnée, les circulaires et le règlement intérieur étant quant à eux dépourvus de valeur réglementaire.

 

Le délit n'est pas juridiquement constitué et la confirmation de la décision de relaxe du premier tribunal s'impose.

La cour s'est livrée ici à une démonstration extrêmement rigoureuse de l'absence de faute. Elle a analysé le comportement de l'institutrice tant au regard de la faute caractérisée qu'à celui de la violation manifeste d'une norme.

Il est intéressant de remarquer ici que les magistrats se sont fondés sur l'absence de connaissance qu'avait l'institutrice du jeu dangereux auquel se livrait l'élève. C'est parce qu'elle ignorait le danger qu'elle ne peut avoir commis aucune faute caractérisée, ni manquement à ses obligations professionnelles, ni imprudences.

 

(1) C.A Toulouse, 31 janvier 1994.