Nouvelles technologies

Apprivoiser les écrans et grandir
Partage :

L’interview de Serge Tisseron a suscité de nombreuses questions et commentaires sur la page Education parents profs. Retrouvez les compléments et réponses de Serge Tisseron regroupés en 3 thèmes.

Serge TISSERON est pédopsychiatre et psychanalyste, auteur de l’ouvrage « 3-6-9-12 : Apprivoiser les écrans et grandir » aux éditions éres).

L’implication de la famille, le « vivre ensemble » et la nécessité de partager des moments privilégiés.

L’organisation d'un temps commun en famille est essentiel. Cela permet aux parents de poser les valeurs qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants. C’est pourquoi j’insiste autant sur le fait de prendre le repas du soir sans télévision ni téléphone mobile.

D’autant plus que les actualités sont visibles à tout instant sur les écrans grâce aux podcasts, sans compter les journaux gratuits, la radio, et les chaînes d’info en continu. Quant aux valeurs, il n’y a pas de meilleure façon de les enseigner qu’en les pratiquant soi-même. Et le repas pris ensemble sans télévision ni téléphone mobile est un moment formidable pour cela. Les parents peuvent y rappeler les valeurs auxquelles ils sont attachés et relativiser celles qui sont mises en scène sur les écrans.

C’est d’autant plus important que les enfants testent toujours en famille les comportements et les façons de parler qu’ils voient mises en scène à la télévision. Il revient alors aux parents de rappeler deux choses. D’abord que " c’est peut-être comme ça dans les programmes que les enfants regardent, mais que ce n’est pas comme cela dans leur famille ". Et ensuite que pour être intégré dans n’importe quel groupe, il faut en respecter les règles.

Expliquer cela à nos enfants, ce n’est pas seulement leur apprendre les règles du bien vivre ensemble, c’est aussi les introduire à la relativité des codes qui leur sera utile toute la vie.

L’accessibilité aux nouvelles technologies (tablettes, PC...)

L’inégalité sociale pèse parfois très fort. Mais n’oublions pas que ce sont souvent les familles démunies qui sont les plus équipées en technologies numériques parce que les parents pensent que cela augmente les chances de leurs enfants de réussir leur vie future. Il faut donc leur expliquer que l’augmentation des technologies numériques dans une famille n’est pas du tout un facteur d’accroissement des chances et que ces technologies peuvent même enfermer l’enfant dans des pratiques solitaires et répétitives qui le détournent d’apprentissages utiles.

Mais inversement, le fait de vivre sans télévision, ni ordinateur, ni tablette, ne rend pas forcément plus intelligent. Un adolescent interdit de jeux vidéo et qui passe des week-ends entiers à peindre des figurines de combattants pourrait gagner à ouvrir son monde à d’autres horizons. Certains jeux vidéo sont en effet de merveilleux supports d’exploration et de rêverie.

Ce qui est important, c’est de pouvoir pratiquer une certaine alternance entre des activités mettant en jeu des compétences différentes : par exemple l’attention et l’habileté manuelle sont favorisées par des activités pratiques comme le bricolage et la cuisine, l’intelligence narrative est encouragée par la lecture, la concentration et la prise de décision rapide sont stimulés dans tous les jeux vidéo, et la capacité de coopérer avec d’autres dans les jeux en réseau.

L’usage et l’adéquation des nouvelles technologies aux différents âges.

Rappelons-nous toujours la métaphore diététique : les différents aliments sont introduits progressivement dans la nourriture d’un jeune enfant : les quantités varient, les catégories se diversifient, et les modes de préparation changent également. Il en est exactement de même avec les écrans lorsque l’enfant grandit. Les écrans n’apportent rien avant 3 ans, sauf sur des périodes courtes le plaisir de les regarder ensemble et de jouer ensemble avec eux.

À partir de 3 ans, l’enfant peut être progressivement laissé seul devant un écran d’abord un ¼ d’heure ou une ½ heure, puis de plus en plus longtemps jusqu’à 1 heure quand il atteint 6 ans. A ces âges, la difficulté de l’enfant à comprendre les histoires fera préférer la DVDothèque qui lui permet de regarder plusieurs fois les mêmes programmes et d’intérioriser progressivement l’histoire qu’ils racontent. Les films d’une heure et demie peuvent être coupés en deux.

N’oublions pas non plus que les écrans peuvent devenir un refuge à tout âge. Il est donc important d’introduire les écrans comme des supports de socialisation et de création. Et pour cela, il vaut toujours mieux préférer les jeux vidéo qu’on joue à plusieurs à ceux qu’on joue seul, et ceux qu’on joue en étant présent dans le même espace à ceux qu’on joue par écrans interposés.

Enfin, il est essentiel de prendre du temps pour parler à l’enfant de ce qu’il voit sur les écrans, ou de ce qu’il y fait. Quand il est petit, on peut lui en parler avant, et au moins préciser le temps pendant lequel il va pouvoir rester face à l’écran. C’est ce qu’on pourrait appeler, pour continuer sur la métaphore diététique, la préparation de la nourriture « écran».

Et on va bien sûr en parler avec lui après. Qu’est-ce qu’il y a vu ? Qu’est-ce qu’il y a fait ? Il ne s’agit pas de l’obliger à dire forcément la vérité, mais de lui montrer qu’on s’intéresse à ce qui l’intéresse. Et même s’il ment, l’effort qu’il fera pour construire des phrases crédibles lui sera toujours un exercice salutaire pour développer ses capacités narratives et l’introduire à la possibilité de raconter et de se raconter. Cette capacité est un excellent support de socialisation.

Retrouvez l'intégralité de l'analyse de Serge Tisseron dans son ouvrage :