Quelles évaluations à l'heure de ChatGPT ?

Eric Berbudeau, journaliste MAIF Mag

13 min


MAJ mars 2023

Est-ce tricher de recourir à une intelligence artificielle pour rendre un devoir ? Et abuser du copier-coller, est-ce du plagiat illicite ? Le point sur des pratiques qui ne facilitent pas le travail de correction des enseignants...

Glisser une phrase toute faite dans une copie, c’est terriblement tentant. Depuis longtemps. Sauf que maintenant, tout le savoir du monde (ou presque) est à la portée de tous sur Internet. Je clique donc je sais. Avec la possibilité de copier-coller d’un clic des blocs entiers de texte, la tentation a pris une tout autre ampleur chez les élèves. Ils peuvent même confier la rédaction d’un devoir à des sites spécialisés ou à l’intelligence artificielle de ChatGPT (bien dire « Tchat’ GiPiTi » pour être dans le coup). Comment repérer et juger cette appropriation numérique ? Est-elle devenue une forme d’acquisition d’un savoir ?

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Le savoir académique : un art de la compilation et de la paraphrase ?

Il faut le préciser d’emblée : cet article n’a pas été écrit par une intelligence artificielle ! C’est peut-être ce qui en expliquera ses faiblesses, car rédigé par un journaliste qui se souvient du temps d’avant. Le temps où l’acquisition d’un savoir académique reposait sur des lectures compulsives de livres en papier, sur des prises de notes avec un stylo ou sur des photocopies au CDI ou à la BU.

Ensuite, il fallait réussir à analyser cette collecte, lui donner un sens, recouper des infos parfois contradictoires, puis les rassembler dans un objet final le plus cohérent possible. Que ce soit pour un devoir à la maison, un exposé ou une thèse, le principe de ce travail intellectuel était le même. Les enseignants attendaient de nous à la fois une capacité de nous appuyer sur des acquis solides et une grande implication personnelle pour les utiliser judicieusement, en apportant si possible un zeste de nouveauté. Avant les ordinateurs et avant Internet, cela prenait un temps fou. Des années même pour une thèse de doctorat qui exige des recherches personnelles, un énorme travail de compilation du savoir préexistant et un long temps de rédaction.

Ce préambule historique vise surtout à rappeler que la triche existait déjà, avant la démocratisation d’Internet. On parlait alors de plagiat lorsque des blocs importants de texte étaient « empruntés » sans en préciser la source ou l’auteur réel (contrairement à une citation). Régulièrement, des personnalités connues sont d’ailleurs rattrapées par des affaires de plagiat, tel ce premier ministre du Luxembourg qui a renoncé à son diplôme de DEA pour avoir jadis abusé du plagiat dans son mémoire de fin d’études. Sur le blog de Jean-Noël Darde, consacré à « l’archéologie du copier-coller », bien d’autres exemples sont recensés.

Des visuels créés aussi par l’intelligence artificielle

Pour illustrer ce dossier, nous avons fait appel à une autre intelligence artificielle, celle de MidJourney. C’est elle qui, répondant aux demandes formulées par Guillaume Krebs, notre iconographe, a “conçu” le robot correcteur qui ouvre ce dossier, ainsi que cette vision BD d’une bibliothèque universitaire à l’ancienne...

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Wikipédia et la tentation de la Wiki-copie

Mais il est temps de revenir au présent. La tentation du copier-coller a pris une tout autre ampleur depuis que les élèves et étudiants ont accès à un ordinateur et à Internet. En soi, la pratique n’a rien d’illicite et peut même être encouragée en classe. Par ailleurs, sous réserve de donner la source et le nom de l’auteur, le droit de citation existe dans le Code de la propriété intellectuelle (article L122-5). C’est évidemment quand la source est omise et que le texte copié-collé est présenté comme une production personnelle que le problème existe. Les enseignants sont particulièrement exposés à la « Wiki-copie », celle qui a pompé allègrement des pages Wikipédia sans même prendre le soin de réécrire (et comprendre) a minima le contenu. Cette copie-là est souvent simple à identifier et, dans le doute, il suffit de taper un extrait de phrase1 dans Google pour retrouver la source et confondre le plagiaire.

« J’ai beau avoir pas mal usé du copier-coller pour rendre mes devoirs et exposés, je n’ai jamais été prise sur le fait, raconte Anouk Perry dans un article sur le Web. Au fil du temps, ma flemme et moi avons développé des astuces de tarba pour pondre des textes sans trop bosser à l’école. » N’hésitez pas à chercher sur Internet les pages de conseils destinés aux élèves tricheurs pour bien comprendre ce qu’ils vous préparent et déjouer « leurs astuces de tarba ». Les plus habiles iront évidemment chercher des sources Internet ailleurs que sur Wikipédia, prendront soin de paraphraser une partie des textes plagiés… Dans ce cas, des services spécialisés sont capables de repérer ceux qui ont copié-collé plus que de raison : PlagScan, Duplichecker, Plagium, Copyscape et bien d’autres.

Il y a aussi le cas particulier de Scribbr, qui offre non seulement un logiciel antiplagiat, mais aussi des services de relecture et correction ou un générateur de bibliographie ! Il s’adresse donc plutôt aux étudiants avec ce slogan : « Tout ce qu'il faut pour votre réussite académique ! » On est là dans une offre de service légale, quand cet article de Capital nous rappelle que d’autres le sont beaucoup moins. Nous éviterons évidemment de vous donner l’adresse du site qui se chargera de rédiger votre thèse (27 € la page) en se targuant d’être partenaire d’un prestigieux éditeur du monde de l’éducation. Un partenariat aussi vraisemblable que la création d’un parc Disney au château de Versailles !

Y’a comme un loup dans la bergerie !

Dans la tentation de la triche, les étudiants ont-ils tendance à adopter de mauvaises pratiques comme des moutons ? C’est la question que pose ce visuel tiré de l’imagination artificielle de MidJourney. Avec un rendu bluffant, obtenu en quelques secondes, qui conduit à pardonner les détails moins réalistes de l’arrière-plan...

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La révolution ChatGPT provoque un tsunami cognitif

Depuis des années, l’intelligence artificielle a trouvé sa place dans nos vies, y compris dans les projets de l’Éducation nationale. Et à la MAIF, nous avons développé (et partagé en code source ouvert) le système Mélusine qui permet d’acheminer des courriels vers le bon destinataire. Quant aux « assistants personnels intelligents », Siri, Alexa et OK Google, ils ont envahi nos foyers, provoquant des discussions souvent surréalistes entre des utilisateurs et des voix de synthèse, qui n’encouragent guère à les solliciter pour faire un mémoire de fin d’études ! Bref, une transition en douceur.

Mais dans ce vaste domaine de l’IA, il y a eu une vraie révolution avec la mise à disposition de ChatGPT, le 30 novembre 2022. Un agent conversationnel bluffant et gratuit, utilisable dans plusieurs langues. Quelques jours plus tard, sa fondatrice, l’entreprise OpenAI, enregistrait un million d’utilisateurs ! Cette fois, c’est la qualité des réponses qui a provoqué cet enthousiasme sans précédent, notamment auprès des élèves et étudiants qui ont vite cerné le potentiel de l’outil pour produire à la demande des textes cohérents, sur les sujets les plus variés. L’usage s’est répandu comme une traînée de poudre, suscitant vite des inquiétudes, notamment dans le monde de l’éducation. Au point que dès le 4 janvier, à New York, une mesure était prise pour bloquer l’accès à ChatGPT dans des établissements scolaires !

En France, c’est du côté de Lyon qu’une alerte fut lancée par Stéphane Bonvallet, formateur en handicapologie. En corrigeant un devoir à la maison, il a constaté que sur 14 copies remises par ses étudiants, 7 d’entre elles présentaient de grandes similitudes, sans pour autant être identiques. Il cherche la raison et une étudiante lui dit avoir utilisé ChatGPT. Après avoir témoigné dans des médias locaux, un buzz a suivi dans le monde entier : « J'ai répondu à trois interviews, 99,99 % des articles qui sont sortis sont extrapolés et/ou avec de fausses informations et sont des interviews que je n'ai pas accordées », explique-t-il sur son blog où nous vous invitons donc à voir sa vidéo pour bien comprendre sa démarche qui concerne tous les enseignants. Effectivement, depuis, des mesures ont été prises. Par exemple, le 27 janvier, Sciences Po a choisi d’interdire l’usage d’une intelligence artificielle “sans mention explicite”...

La nouvelle arme secrète des étudiants ?

Est-ce que ChatGPT peut rédiger un plan cohérent de dissertation ? La réponse est dans cet article du site Numérique éthique, très complémentaire de ce dossier. Dans la lignée des engagements MAIF pour que le numérique soit au service du mieux commun, la plateforme Numérique Éthique vous propose de vous accompagner pour décoder le numérique au quotidien.

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L’éducation à l’esprit critique est devenue un enjeu pédagogique majeur

Aussi performant soit-il, ChatGPT présente aussi des faiblesses, répertoriées sur la page Wikipédia que nous ne copie-collerons pas dans notre article ! Sa capacité à donner parfois de fausses infos, avec beaucoup d’assurance, n’est pas la moindre. C’est un beau sujet de réflexion pour la Semaine de la presse et des médias à l’école qui débute dans quelques jours. « L’une des choses les plus utiles à faire est à mon avis d’éduquer les utilisateurs sur la question de la désinformation et sur la manière d’être critique vis-à-vis de ce que nous lisons en ligne », explique le chercheur canadien Muhammad Abdul-Mageed dans cet article de Libération sur les moyens de détecter qu’un texte a été écrit par une intelligence artificielle.

Il faut rappeler qu’avant ChatGPT, il existait déjà des solutions utilisées par la presse pour automatiser l’écriture de textes « journalistiques ». Ainsi, l’entreprise Syllabs a été utilisée en France par des médias pour la rédaction de résultats d’élections municipales ou des comptes-rendus de matches de Ligue 1. Quand le groupe Ouest-France est entré au capital de cette start-up, Claude de Loupy, fondateur de Syllabs, expliquait : « Le robot de rédaction ne prend pas la place d'un journaliste, mais effectue des opérations souvent répétitives publiables en temps réel. » Dans des salles de rédaction où l’audience peut reposer sur la primeur de l’info, l’intelligence artificielle peut aussi servir à réagir le plus vite possible. C’est ce qu’explique cet article de The conversation consacré à l’ouvrage de Francesco Marconi au titre évocateur Newsmakers, Artificial Intelligence and the Future of Journalism.

Les robots journalistes vus par MidJourney

Une autre création de l’intelligence artificielle MidJourney pour illustrer ce paragraphe sur l’utilisation de l’IA dans la presse. Une vision très futuriste, car les exemples qui existent déjà concernent les tâches répétitives de la presse écrite...

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Savoir utiliser l’intelligence artificielle est aussi un savoir

Si l’intelligence artificielle venait à impacter autant le futur du journalisme, est-ce que les robots-rédacteurs de demain poseront les bonnes questions, notamment sur les conséquences des modèles économiques de ces services ? Sonia Devillers n’a pas seulement interviewé ChatGPT sur France Inter, elle a aussi posé les questions qui s’imposaient à son invité, David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS qui a notamment expliqué : « Les seules personnes qui pourront affirmer à 100 % si ces textes sont générés par un humain ou un robot, ce sont les entreprises qui les auront fabriqués. Elles pourront faire payer des services, très chers, notamment aux universités, pour détecter le plagiat. Il y aurait une espèce de business model : je te pollue, puis je te fais payer la dépollution ! »

On voit bien comment cette révolution en cours exige de l’expertise, du savoir-faire, de la connaissance. Pour le monde de l’éducation, ce développement des outils d’intelligence artificielle est aussi un énorme défi. Quelle place réserver à ce sujet dans l’enseignement ? Pour préparer des élèves aux métiers de demain, il est impossible de fermer les yeux sur ce phénomène qui bouscule tout. Quelle sera l’importance du « Prompt engineering » évoqué dans cet article (désolé, c’est plein de pubs) ? Cette expertise émergente, déjà capable de se monnayer sur le web, y est présentée comme « une véritable discipline qui pourrait peu à peu remplacer la programmation face à l’essor de l’IA ». Faut-il croire cette prédiction ? Ce qui est certain, c’est que le géant Microsoft, qui a connu quelques déconvenues dans le passé avec l’agent conversationnel Tay Big Flops est prêt à miser gros pour accompagner la révolution GPT…