La tenue des élèves : diversité ou uniformité ?

Eric Berbudeau, journaliste MAIF Mag

9 min


MAJ mars 2024

Quand ce n’est pas l’uniforme, c’est l’abaya ou le crop top : la tenue des élèves ne cesse d’alimenter l’actualité. Du dressing des enfants au dress code des établissements, des enjeux différents structurent ces débats. Voici quelques repères pour vous enseignants…

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Qui réglemente la tenue des élèves ?

« Les élèves portent alternativement par quinzaine une blouse écrue et une blouse rose à manches longues. Le nom, le prénom ainsi que la classe doivent être brodés en rouge sur le côté gauche du tablier. » Cet extrait d’un règlement intérieur d’un lycée de jeunes filles des années 50 est étonnant de précision. C’est l’un des documents de l’exposition « S’habiller pour l’école », visible jusqu’au 31 mars au Musée national de l’éducation de Rouen. Une visite virtuelle constitue une bonne introduction à ce dossier. Vous y verrez l’un des panneaux qui précise : « Le Code de l’éducation ne prévoit aucune obligation spécifique concernant les tenues autorisées en contexte scolaire, à l’exception de celles "visant à manifester une appartenance religieuse". Pour autant, la question du vêtement s’inscrit régulièrement, au niveau local, en particulier dans les règlements adoptés par les conseils d’administration des établissements. »

Hors cas particulier des vêtements ostensiblement religieux, le Code de l’éducation n’apporte donc aucune précision sur ce que doit être la tenue des élèves. En revanche, les règlements intérieurs des établissements ont depuis longtemps le pouvoir de définir des règles sur ce sujet. Cela suppose un minimum de concertation avec les représentants des élèves, les représentants des parents et des enseignants, pour que ce règlement soit adopté en conseil d’administration comme l’explique cette circulaire. Cette même circulaire présente en annexe une « charte des règles de civilité du collégien », qui invite ces élèves du secondaire à s’engager à « entrer au collège avec une tenue vestimentaire convenable ».

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Qu’est-ce qu’une tenue convenable ?

Formulée ainsi, sans précision, ce n’est rien, juste un concept flou permettant toutes les polémiques. D’un établissement à l’autre, toutes les interprétations sont possibles. Près de certaines plages de la Méditerranée, personne ne s’offusquera de voir des élèves en claquettes, voire en short de bain les journées les plus chaudes, quand la même tenue déclencherait les foudres de la direction ailleurs… Les notions de « tenue correcte » ou « tenue républicaine » ne sont évidemment pas plus précises. Si un établissement veut interdire les claquettes chaussettes, il lui faudra le préciser dans son règlement intérieur. Lors d’une interview de la rentrée 2022, lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, Pap N’Diaye rappelait que ces règles relèvent des établissements : « Je ne veux pas me prononcer sur le type de vêtement spécifique que filles et garçons doivent porter [...]. Il y a des règlements intérieurs dans les écoles et dans les établissements, et il faut donc faire confiance au règlement intérieur, aux équipes éducatives et pédagogiques. Ce n'est pas au ministre de l'Éducation nationale de fixer la longueur du crop top ou le pourcentage de peau que l’on doit voir ou ne pas voir… »

 

Autant il est logique de préciser dans un règlement intérieur le port de tenues spécifiques pour certains cours (EPS, les TP de sciences, les enseignements professionnels), autant d’autres précisions peuvent créer des polémiques. « Ce qui est compliqué, c’est que les normes sociétales changent », souligne Jean-François Amadieu, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, tout en portant un regard sur son propre univers professionnel : « Avant, la cravate était de rigueur pour les enseignants du supérieur, aujourd’hui un professeur d’université peut arriver en sneakers ! » Et dans ces prescriptions normatives, il faut prendre garde qu’elles ne soient pas discriminantes (elles peuvent être perçues ainsi). Elles doivent aussi prendre en compte la liberté d’expression des élèves, qui est une liberté fondamentale, même si la liberté de se vêtir à sa guise relève plutôt d’une liberté personnelle, susceptible d’être réglementée, pour reprendre une distinction applicable dans le monde du travail. Cette subtilité juridique éclaire le cadre qui va permettre d’expérimenter une tenue unique dans une centaine d’établissements scolaires à la rentrée 2024.

Des tenues sous contrôle

Entre crop top ou débardeur à bretelles fines, la question de la décence des tenues lycéennes a conduit des établissements à adopter des mesures d’interdiction très précises dans leur règlement intérieur... (© Alys Tomlinson/Getty)

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Qu’est-ce qu’un vêtement religieux ?

Nous avons vu qu’il s’agit d’un cas particulier. Le Code de l’éducation ne parle pas de « vêtement religieux », mais formule ainsi une interdiction dans son article L141-5-1 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. » Ce cadre légal, très général, a été précisé au fil du temps par des circulaires, comme celle récente sur l’abaya et le qamis. Depuis la rentrée 2004, date d’entrée en vigueur de cet article du Code de l’éducation, son application n’a pas toujours été simple. Profondément marqués par des événements tragiques, les enseignants savent combien les fondamentaux républicains de la laïcité peuvent faire l’objet d’attaques violentes qui enflamment les réseaux sociaux. Terrain miné.

Pour préserver les établissements scolaires de tout activisme ou prosélytisme religieux, sans pour autant porter atteinte aux convictions des élèves, l’Éducation nationale dispose désormais d’un corpus de règles réunies dans un vademecum de la laïcité récemment mis à jour. La tenue des élèves, mais aussi celle des enseignants et des personnels, y occupe une place centrale avec des fiches pratiques qui détaillent ce qui est possible dans les établissements et à l’extérieur (stages, voyages scolaires, etc.). Avec une logique éducative institutionnalisée : dialoguer avant de punir. Un dialogue nécessaire, en associant les parents, pour éviter ces incidents qui perturbent le climat scolaire et peuvent se terminer au tribunal. Encore faut-il que les parents ne soient pas la cause du problème, comme pour ce cas très particulier du petit Jihad, trois ans, dont le t-shirt « Je suis une bombe » offert par son oncle n’a pas été considéré comme une simple plaisanterie, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme…

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L’uniforme à l’école : une solution ?

Après avoir évoqué ces points de tension qui peuvent se produire autour de la tenue des élèves, il est temps d’aborder ce qui est souvent présenté comme une possible solution de décrispation et d’égalité scolaire : l’uniforme à l’école. Le sujet, d’actualité, est clivant et divise les Français. Dans le débat public, y compris politique, des revendications ont émergé depuis quelques années. Pour ses partisans, l’uniforme peut être imaginé comme une solution pour rétablir l’ordre à l’école, favoriser l’égalité des chances ou simplement pour faire gagner du temps aux élèves (voire à leurs parents), le matin, quand ils doivent choisir leur tenue… Et en décembre 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a annoncé le lancement d’une expérimentation pour la rentrée 2024. Au micro de France Info, il expliquait : « Moi, comme beaucoup de Français, je suis partagé sur la question de l’uniforme. En tout cas, je me pose la question. Je ne suis pas encore convaincu que c’est une solution qui permettrait de tout régler et je ne suis pas convaincu, comme certains, qu’il ne faut absolument pas en parler et l’essayer. Comme beaucoup de Français, je suis intéressé de voir ce qu’une expérimentation à grande ampleur donnerait comme résultats en matière de climat scolaire et d’élévation du niveau scolaire de nos élèves… »

Cette expérimentation devrait concerner une centaine d’établissements scolaires publics (écoles, collèges, lycées). La page officielle sur le dispositif détaille les objectifs, le financement de la tenue vestimentaire, les deux comités qui vont suivre cette expérimentation, une hypothétique généralisation à la rentrée 2026… Après l’annonce du dispositif, des maires ont fait part de leur souhait d’être candidats. Mais certains ont finalement fait marche arrière face aux réactions des parents. Et la date limite pour déposer une candidature a été reportée à juin. Il faudra donc attendre un peu pour savoir où cette expérimentation sera menée.

De la diversité dans les uniformes

Si le mot “uniforme” porte en lui une histoire militaire, la notion de “tenue unique” semble plus ouverte à la variété et à la couleur. Quelle sera la tendance dominante dans les établissements candidats à l’expérimentation ? (photo Xavier Arnau/Getty)

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Pour ou contre l’uniforme scolaire ?

Que pensent les enseignants de cette expérimentation de l’uniforme ? Même si le questionnaire n’a pas valeur de sondage avec seulement 275 réponses, le forum Néoprofs a posé la question à ses membres. Et les résultats sont partagés, avec 47 % de « plutôt contre » et 46 % de « plutôt pour ». La discussion qui suit aligne des arguments sérieux qui peineront à départager les partisans des opposants. On y trouve notamment des témoignages d’enseignants qui ont connu l’uniforme scolaire à l’étranger ou aux Antilles. Effectivement, vue de la Guadeloupe, la question de l’uniforme semble se réduire au rush de la rentrée pour la chaîne publique locale. Même en Métropole, le Figaro nous rappelle qu’il existe des établissements publics où l’uniforme se porte déjà : les maisons d’éducation de la Légion d’honneur, les six lycées de la Défense et l’internat d’excellence de Sourdun. Il suffit de consulter le règlement intérieur de ce dernier à la page 3 pour imaginer ce qu’une centaine d’établissements devront adopter à la rentrée prochaine pour passer à la tenue unique.