Climat scolaire : prévoir un parapluie !

Eric Berbudeau

13 min


Au cours de leur carrière, combien d’enseignants échapperont aux propos injurieux d’un élève ou aux menaces émanant d’un parent ? C'est pourquoi, même si le sujet est complexe et sensible, ouvrons avec vous ce dossier sur les risques des métiers de l’éducation...

« Et vous, ça va ? » Nous aimerions poser cette question en toute légèreté. Mais nous savons bien que non, tout n’est pas rose dans les établissements scolaires et universitaires. Avec une belle régularité, les enquêtes sur le climat scolaire dressent le portrait d’une communauté éducative qui résiste tant bien que mal aux fissures sociétales de l’institution. En consacrant ce dossier aux risques des métiers de l’éducation et à la responsabilité des enseignants, nous évitons soigneusement de noircir le tableau. Pour ne décourager personne, surtout pas les jeunes enseignants, ceux qui se lancent ou ceux qui hésitent encore. Avec un enthousiasme courageux, à l’image de Maxime, 23 ans, qui déclarait à Fenêtres sur cours, la revue du SNUIPP :   Je trouve ce métier intellectuellement enrichissant parce qu’il demande de se renouveler en permanence. Il permet de lutter contre une vision pessimiste de la société en essayant de la changer de l’intérieur auprès de ceux qui feront le monde de demain. 

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La violence ordinaire de la cour de récré

Ce métier de professeur des écoles, auquel se destine Maxime, il est également bien lourd en responsabilités, faisant depuis longtemps l’objet d’une attention particulière du législateur. L’article 1242 du Code civil en donne la preuve car il fixe d’abord un cadre général qui concerne tout le monde :  On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.   Puis il précise : 

-  Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
- Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.
- La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
- En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. 

Dans ces quelques alinéas, vous avez les bases qui peuvent alimenter les débats des tribunaux, en matière pénale ou civile, pour savoir qui est responsable lorsqu’un fait anormal survient dans un établissement scolaire. Et cela arrive. La lettre d’information juridique du ministère permet d’en avoir un bel aperçu. La seule situation particulière de la surveillance dans une cour de récréation a été tant de fois jugée depuis l’affaire Leblanc (avril 1891 !) qu’une jurisprudence dense montre combien la justice attend beaucoup des enseignants. C’est un peu stressant de voir comment une mauvaise chute d’un toboggan peut faire l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation. Et une bousculade entre élèves, une blessure sur un banc mettre en cause la vigilance de la directrice de l’école et l’entretien du matériel par la mairie…

Mais le droit s’est construit ainsi. Et quand c’est grave, les parents vont légitimement se retourner vers un responsable. Tout peut se produire, dans une école ou un lycée. Deux petits qui se disputent un tricycle à la récré et c’est un accident dramatique qui survient. Dans sa sagesse, le législateur a prévu de ne pas abandonner l’enseignant face à ces lourdes responsabilités en rédigeant ainsi l’article L911-4 du Code de l’éducation qui débute ainsi :  Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'État est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.  Pour bien comprendre la notion de responsabilité civile de l’enseignant, il faut avoir en tête ces deux articles (Code civil et Code de l’éducation). Nous avons même prévu un mémo pour que vous puissiez retrouver rapidement ces infos !

Une vigilance de tous les instants

©NiedringDrentwett/GettyImages

Les récréations ou les déplacements dans les couloirs sont des situations où la vigilance des enseignants est mise à rude épreuve.

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Qui viendra chercher Léo après l’école ?

Mais il ne faut pas réduire l’emprise du droit sur les métiers de l’éducation à ces accidents graves, heureusement très rares. Il est aussi très présent dans les tracas quotidiens. Par exemple, qui peut venir chercher Léo, élève de maternelle, à la sortie de l’école ? Dans la majorité des cas, la question aura été réglée à la rentrée : les parents, représentants légaux de l’enfant, peuvent évidemment venir chercher leur fils ainsi que  toute personne nommément désignée par eux par écrit , comme le prévoit la circulaire n° 2014-088 du 9 juillet 2014.

 Mais la loi ne précise rien quant à la qualité des personnes nommément désignées par les parents, souligne Me Charles-Emmanuel Ricchi, avocat-conseil de la délégation de l’Autonome de solidarité laïque de Haute-Savoie dans cette vidéo. Sont-ce des adultes, des enfants, de quel âge ? Les recommandations faites par la jurisprudence et les directives du ministère sont les suivantes : à partir du moment où l’enseignant va estimer qu’il est dangereux pour la sécurité de l’enfant qu’il soit récupéré à la sortie des classes par le grand frère ou le cousin, un grand de l’école primaire d’à côté, il lui appartient de faire part de ses réserves aux parents… Et d’en faire part par écrit ! 

Et si la situation familiale de l’enfant est un peu compliquée, avec des parents séparés, la question de savoir qui peut venir chercher Léo à la sortie de l’école peut devenir un vrai problème.  En maternelle, on ne remet pas l’enfant à un parent déchu de l’autorité parentale , insiste d’emblée Me Dominique Trouvé, avocat-conseil de plusieurs délégations d'Île-de-France de l’Autonome de solidarité laïque, dans cette autre vidéo. Il précise aussi le cadre juridique lorsque les parents sont divorcés mais que l’autorité parentale reste conjointe :  Lorsque les parents sont séparés, le parent chez qui l’enfant ne vit pas a le droit à la même information que le parent chez qui vit l’enfant. Pour respecter cette obligation, l’école doit exiger de se faire remettre la décision qui organise le temps de l’enfant pour savoir chez qui il vit...  Et quand les relations entre parents séparés sont conflictuelles, les enseignants se trouvent confrontés à des situations complexes, où une formalité basique comme l’inscription dans une école peut donner lieu à des contentieux devant les tribunaux.

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L’art subtil de la discipline

 Les enseignants sont responsables de l’ensemble des activités scolaires des élèves.  Sur la base de cette phrase, extraite de l’article L912-1 du Code de l’éducation , on attend d’eux qu’une certaine discipline règne dans leur classe et qu’ils interviennent si ce n’est pas le cas. Là aussi, la jurisprudence a fait progresser le droit au rythme des évolutions sociétales. Ne comptez pas vous appuyer sur cette décision du tribunal de police de Sarlat qui date de 1997 et évoque un "droit coutumier" de la violence éducative :  Lorsque, dans un établissement scolaire, un enseignant se rend coupable d’un geste de violence sur un élève perturbant le déroulement d’un cours, qu’il a déplacé de force au premier rang de la classe, il exerce un droit coutumier de correction manuelle des élèves par les maîtres, assimilé à celui reconnu au père et mère de l’enfant, qui constitue un fait justificatif d’usage et doit conduire à sa relaxe des fins de la poursuite pour violences volontaires sans incapacité de travail. 

Ce jugement ancien est tiré de l’excellent livre Droits et responsabilités des enseignants et acteurs de l’éducation de Christophe Boucher, qui met ainsi en garde ses collègues enseignants :  Il nous semble impossible aujourd’hui de justifier le châtiment corporel des élèves par la permission de la coutume, cette coutume étant de plus en plus remise en cause. (…) Il ne peut être question de "corriger" les élèves ou de leur infliger un châtiment. L’enseignant peut cependant parfois être amené à réagir sereinement, sans violence et en urgence, pour mettre fin à une situation critique : il s’agit d’un devoir d’intervention.  Un devoir d’intervention sur la base de l’article L912-1 cité plus haut.

Si la réaction est appropriée, le tribunal déboutera alors les parents d’un élève de leurs demandes, comme l’indique cet arrêt de la cour d’appel de Versailles (2 juin 2003) qui a déclaré un enseignant non coupable  considérant que le geste de saisir la poignée du cartable, pour ramener un élève turbulent à la raison, n'est pas un geste portant atteinte physiquement de façon directe à l'élève  et  que ne pas agir ainsi exposait inversement cet instituteur à des sanctions disciplinaires pour avoir laissé faire ce qu'il devait empêcher .

L’ASL, une chaîne de solidarité

L’Autonome de solidarité laïque repose sur une chaîne de solidarité humaine autour de l’Offre Métiers de l’Éducation. L'ASL agit depuis plus d'un siècle pour protéger les personnels de l'éducation et prévenir les risques de leurs métiers.

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Un réseau d’experts à votre disposition

Ces quelques exemples donnent un aperçu de ces “risques du métier” propres aux enseignants. Cette spécificité les a conduits dès 1903 à créer des structures départementales de protection. Des associations autonomes qui sont aujourd’hui majoritairement rassemblées au sein de la Fédération des autonomes de solidarité de l'enseignement public et laïque dite "L'Autonome de solidarité laïque" (ASL). Elle est représentée dans tous les départements de France métropolitaine et d'outre-mer. Christophe Boucher, l’auteur que nous avons déjà cité, présente ainsi ces structures :  Les Autonomes de solidarité laïque et leur fédération ont acquis une reconnaissance et une légitimité professionnelle auprès des pouvoirs publics, des associations et des syndicats de l’éducation. Leur mission est de réconforter, protéger et défendre les personnels de l’éducation, de contribuer à l’apaisement du climat scolaire et de former les personnels de l’éducation. 

En 2002, l'ASL a signé une convention avec le ministère de l’Éducation nationale. Puis une autre en 2015, avec le ministère de la Justice pour dans le but  d’accroître les connaissances juridiques des militants des ASL, d’améliorer la défense des adhérents et d’échanger sur des propositions d’évolution des textes en vigueur afin de permettre une meilleure prise en charge judiciaire des personnels de l’Éducation nationale . Comme en témoignent les vidéos Juriécole citées dans cet article, l'ASL accomplit un travail remarquable pour rendre compréhensibles les textes qui régissent la vie quotidienne des personnels d’éducation.

Le fruit d’un partenariat unique

Mutuelle d’assurance historique du monde enseignant, la MAIF a créé l’assurance professionnelle “Offre Métiers de l’Éducation”1 en partenariat avec l'Autonome de solidarité laïque (l'ASL) pour être au plus près des réalités des personnels assurés, via le réseau MAIF et les militants de l'ASL et MAIF. Ensemble, nous apportons aux personnels d'éducation des garanties expertes et un accompagnement de proximité.

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Des menaces et des agressions

Nous avons vu jusqu'à présent quelques exemples de situations où un enseignant peut être mis en cause. Mais dans tous les dossiers que traite chaque année l'ASL (environ 10 000 par an), le personnel adhérent est victime (et non mis en cause) plus de 9 fois sur 10 ! Nous vous invitons à lire le Baromètre du climat dans les établissements scolaires, créé par l’ASL depuis une dizaine d’années afin de rendre compte, au travers des données chiffrées, des réalités du terrain. Comme la moitié des personnels d’éducation sont adhérents à l’ASL, ces chiffres sont très significatifs !

Vous y verrez qu'un peu plus de la moitié des dossiers traités font l'objet de renseignements juridiques personnalisés, quand l’autre moitié déclenche une protection juridique professionnelle.  Nous incitons nos adhérents à consulter leur délégation départementale dès qu’ils se posent une question ou qu’ils sentent qu’une situation peut dégénérer, explique Jean-Louis Linder, vice-président de l’ASL. Dans chacune de nos communications ou nos formations, nous leur rappelons comment L’ASL peut agir à leurs côtés et peut les conseiller pour ne pas laisser une situation devenir problématique ou conflictuelle.  Dans ce même Baromètre de l’année 2022, on constate que : 

  • La majorité des dossiers de protection juridique professionnelle concerne une agression ou un sentiment d’agression soit au total 75,2 % des dossiers.
  • 33,46 % de ces dossiers concernent des diffamations.
  • 32,41 % concernent des insultes ou menaces.
  • 9,34 % concernent des agressions.
  • Dans + 50 % des cas, ce sont les représentants légaux des élèves ou un proche de la famille qui sont impliqués !
  • L’exposition aux risques de litiges pour les personnels de direction est 3 fois supérieure à celle des enseignants.

Ce n’est pas une surprise, les réseaux sociaux ont désormais toute leur place dans la palette des agresseurs. L’ASL raconte comment elle a accompagné une enseignante confrontée à une situation grave :  Une directrice d’école rencontre des difficultés relationnelles avec la mère de l’un des élèves de son établissement. La parente publie alors un témoignage de son fils sur le réseau social TikTok, dans lequel ce dernier accuse la directrice de l’avoir insulté et humilié, propos que la directrice considère comme mensongers. La vidéo devient virale et dans les nombreux commentaires, on retrouve des menaces de mort ainsi que des informations permettant d’identifier et de localiser la directrice. 

L’intérêt d’un tel article n’est évidemment pas d'augmenter le sentiment d’insécurité qui existe déjà chez les enseignants. Nous avons même évité soigneusement de citer les faits les plus graves. Nous souhaitons juste attirer votre attention sur le cadre juridique particulier dans lequel vous exercez, pour adopter les bonnes attitudes et savoir comment réagir quand un problème survient.

Notre Offre Métiers de l’Éducation ne couvre pas toutes les situations comme le précise sa fiche contractuelle mais elle a vraiment été conçue pour être une protection adaptée aux risques spécifiques de vos métiers, pour seulement quelques euros par mois. Car s’assurer d’une protection solidaire en cas de coups durs, bénéficier du soutien de ses pairs et pouvoir compter sur sa hiérarchie, ce sont bien les conditions nécessaires pour assumer sereinement votre mission éducative. Une si belle mission, pour  lutter contre une vision pessimiste de la société en essayant de la changer de l’intérieur auprès de ceux qui feront le monde de demain .